Nous sommes le 25 Mars 2018 et cette nuit nous avons perdu une heure. Le passage à l'heure d'été provoquerait une augmentation du risque de crise cardiaque, de la fréquence des accidents de travail et de circulation, serait aussi responsable d'une surconsommation de somnifères et même responsable d'une hausse de suicides.
Au Strict Maximum nous tenons à vous, et il nous apparait impensable qu'un simple changement d'heure puisse avoir raison de vous. A nous donc de jouer, il nous faut vous divertir!
Mais comment? Avec quoi? Qui?
Une fois le clavier entre les mains nous vient alors une idée lumineuse — comme à peu près toutes celles que nous avons — parlons donc de Serge Mouille!
Avec une vie toute entière ponctuée de Nichons, Lèvres, Cocottes et autres Fentes, assurément Mouille a tout pour vous détendre!


Vers la fin de sa deuxième année d'études, on lui diagnostique la tuberculose. Il passe alors une année complète en sanatorium. En 1941, après avoir repris ses cours, Serge obtient son diplôme sans aucune difficulté.En 1947, un concours spécial est organisé pour désigner le successeur de Lacroix. Il devient ainsi professeur en titre de dessin et de ciselure, adjoint à Gabriel Lacroix dont il prendra effectivement la succession en 1954.

Installé à Meudon, Serge Mouille prend le train quotidiennement pour rejoindre Paris. Il y fait la connaissance de Slavik, décorateur chez Publicis. Une petite bande d'amis et voisins se constitue: les sculptures François Stalhy et Etienne Martin, le peintre François de Lucy, le mosaïste Max Herzele et Renée Bouiller critique d'art se joignent régulièrement à Mouille et Slavik. Avec eux, Serge Mouille explore d'autres horizons sans abandonner l'enseignement de l'orfèvrerie.Slavik présente Serge à l'équipe des étalages des Galeries Lafayette dirigée par Jean Adnet.

Ainsi Serge Mouille se retrouve dans l'univers de la décoration associé à de jeunes créateurs.François Stahly et Max Herzele lui présente le président du groupe Espace, André Bloc — un autre Meudonnais- avec qui Serge Mouille s'initie au débats d'idées.Il y rencontre un certain nombre de ceux avec qui il travaillera plus tard: Claude Parent, Jean Sebag, Marcel Gascoin, Jean Prouvé...

C'est de manière fortuite que Mouille aborde la réalisation de luminaires.Au début des années 50 se tient l'exposition textile internationale de Lille. Slavik et Jean Adnet demande à Serge d'y concevoir leur éclairage en s'inspirant des luminaires italiens très à la mode. C'est alors que Serge rencontre Jacques Adnet -frère jumeau de Jean- qui lui propose de concevoir un luminaire pour la Compagnie des Arts français qu'il dirige, révélant ainsi son exceptionnel talent.
Ce défi marque l'entrée véritable de Serge Mouille dans le monde du luminaire.
Adnet lui demande simplement un grand luminaire. Pour sa première création Serge entend se démarquer de tout et de tous, en particulier de ces italiens omniprésents qui l'agacent fortement.
Il expérimente tout un tas de formes de réflecteurs et de possibilités de structures.
Il met ainsi presque une année pour arrêter la forme du premier lampadaire trois bras qu'il livre à Adnet en 1952.

Ravi devant ce lampadaire "aux formes de nichons" Adnet demande à Mouille de participer avec lui à l'exposition "la demeure joyeuse: Paule Marrot et ses amis"
Dans la salle attribuée à Jacques Adnet sur le thème "Coin de travail d 'un compositeur", Serge Mouille installe une suspension à trois bras permettant d'éclairer à la fois l'instrument et la table derrière.

Cette exposition révèle le créateur à la profession et au public averti.
Pendant les dix années suivantes, en dehors de son enseignement à l'Ecole des Arts appliqués, Serge Mouille consacre tout son temps à la création et la production de luminaires.
Sa collaboration fructueuse avec le créateur réputé Louis Sognot assoit sa réputation.

Ainsi il participe très régulièrement au Salon des arts ménagers et Salons des artistes décorateurs, vitrines prestigieuses pour ses luminaires.


Par goût et par indépendance, Serge Mouille refuse le support de tout éditeur ce qui le déchargerait financièrement mais lui ôterait le contrôle de la production et distribution.
Serge Mouille s'entoure alors d'une équipe de sous-traitants dont Henri Depierre, connu par l'intermédiaire de l'atelier Mecasoudure qui réalise les soudures des premiers lampadaires à trois bras.


Entre Henri Depierre -compétent et très adroit- et Serge Mouille -exigeant sur la qualité du travail- les rapports seront excellents.
La fabrication des luminaires se fait donc dans l'atelier de Depierre avec toute une équipe composée de fournisseurs, collègues, amis mais également élèves de Serge Mouille.


En 1954 Steph Simon contacte Serge Mouille et lui propose de travailler pour la galerie qu'il ouvre prochainement. Plus que toute autre, la galerie Steph Simon assurera la diffusion de ses luminaires.

Méchante ambiance entre Serge et Charlotte Perriand alors directrice artistique chez Steph Simon. Perriand snob royalement le créateur de luminaires.
Son dédain pour lui persiste dans le temps. En 1985, lors de son exposition aux Arts Décoratifs "Charlotte Perriand, un art de vivre" nulle mention de Serge Mouille n'est faite au sujet de la galerie Steph Simon. Pas plus que dans son livre mémoire paru en 1998 "Une vie de création".
A son "Elle est aussi belle que gârce" Charlotte répond "Ce n'est pas l'un des nôtres".

En Avril 1957, pour l'exposition anniversaire de l'ouverture, la galerie consacre tout de même un nouvel espace aux créations de Serge Mouille dont deux modèles éphémères annonciateurs de la génération futures des Colonnes, les lampes Lèvres et Fentes.


Tout sourit à Serge Mouille (sauf Charlotte), les luminaires se vendent très bien et la gamme est complète tout en étant novatrice.
En 1958, il obtient le diplôme d'honneur, la plus haute récompense pour les luminaires lors de l'Exposition Universelle de Bruxelles et nous sommes tous d'accord (sauf Charlotte) que c'est amplement mérité.


L'année suivante, en Mars 59, les choses se gâtent. Une récidive de la tuberculose est décelée. Après une nouvelle année passée en sanatorium et quelques mois de convalescence à la campagne il n'est de retour à Paris qu'en Novembre 60 où des surprises désagréables l'y attendent.

Henri Depierre a pris des libertés pendant l'absence de Serge Mouille. Pour la fabrication des lampes, l'artisan à désormais recours à des fixations murales toutes faites et utilise des vis pointeaux en fer peintes après coup en doré. De quoi rendre furieux le créateur qui s'en sépare sur le champs.

Du côté de la galerie Steph Simon, l'heure est également à l'improvisation. Serge ne décolère pas lorsqu'il s'aperçoit que Le galeriste à mis au point une lampe hybride Mouille-Noguchi à partir d'un tuyau du premier et d'un pied du second, et ce sans consulter qui que ce soit.
A cela viennent s'ajouter les difficultés financières rencontrées par la galerie qui prend alors beaucoup de retard dans ses paiements.

Afin de reprendre le contrôle Serge Mouille crée à cette époque la SCM (Société de Création de Modèles)
Une année plus tard, Serge Mouille propose la nouvelle série des Colonnes. Ses colonnes utilisent une source lumineuse jusqu'ici réservée à l'éclairage industriel : le tube fluorescent.
Entre les deux séries de Serge Mouille, les Formes noires de 1952 et les Colonnes de 1961, il n'y pas évolution mais rupture. Rien ne rappelle l'autre.
La géométrie l'emporte sur la sensualité.



Pourtant, à la fin de la même année, et devant les difficultés à assurer la production tout en gardant son éthique, Serge Mouille prend la décision de tout stopper.
En effet c'est que la tâche est lourde. Il n'existe plus de diffuseur et les relations ave Steph Simon se sont détériorées, encore un peu plus. La galerie montre cependant les Colonnes mais sans vernissage ni catalogue. L'équipe de la galerie (...Charlotte?) refusera d'ailleurs la commercialisation plus longtemps n'adhérant pas à l'effet cinétique produit par les Colonnes.


Serge Mouille vend alors à Sinma ses machines et son stock de pièces ainsi que les appareils fabriqués et les droits d'exploitation.
Malheureusement, les modèles ne correspondant pas à la clientèle de Sinma, la production est rapidement stoppée.

Ainsi se termine l'aventure des luminaires Serge Mouille. Cet arrêt de diffusion plonge le créateur dans l'oubli jusqu'au début des années 80 et l'exposition "Paris-Paris" au Centre Pompidou qui lui demande de présenter une applique à deux bras pivotants. Viendront plusieurs expositions rétrospectives à Paris et New-York qui confirment l'importance de Serge Mouille dans le paysage de la décoration des années 50-60.
Le créateur de luminaire s'éteint en Décembre 1988.

C'est tout récemment en Mars 2018 que Serge intègre la collection du Strict Maximum. Après plusieurs tentatives de s'accrocher à quoi que ce soit de Pierre, ce sera finalement Charlotte la plus à même d'accueillir Serge.
